mardi 25 septembre 2018

#GIRLBOSS - La glorification d'une donneuse de leçons sous couvert de glamour et de paillettes

Vous avez peut être déjà entendu parler de Sophia Amoruso ou plutôt de son livre, adapté en série : #GIRLBOSS ? Traînant dans l'univers de la blogosphère depuis un certain nombre d'années, je peux vous dire que les bloggueuses, elles, ne l'ont pas raté. Je me souviens, pendant des mois, cette espèce de « Girlboss mania » où chacune, à tour de rôle, chantait les louanges de ce bouquin et ça m'a forcément donné envie de m'y intéresser.


Sophia Amoruso est une jeune entrepreneuse qui a fait fortune en fondant la marque Nasty Gal, une boutique en ligne de vêtements vintages. Si à l'origine il ne s'agissait que d'un simple compte de vendeur Ebay, Nasty Gal a connu une croissance fulgurante qui a mené sa fondatrice à la célébrité.

Du fait de son succès, Sophia Amoruso a écrit un livre, intitulé #GIRLBOSS. Puis son histoire a été adaptée en série sur Netflix (annulée au bout d'une saison). J'ai vu la série, que j'avais trouvé assez cool malgré le caractère merdique de Sophia. 




Puis j'ai lu le livre, que j'ai tout simplement détesté. Il fallait donc que je vous en parle.

En parfait gourou de l'entrepreneuriat, Sophia Amoruso nous raconte dans son bouquin comment elle a fait pour réussir en nous rappelant à quel point elle sortait des sentiers battus.


Il faut dire qu'aux États-Unis, les gens raffolent des selfmade men/ women, à savoir celles et ceux qui ne sont parti.e.s de rien pour finir à la tête d'une fortune colossale. Et Sophia Amoruso avait absolument tout pour plaire : décrocheuse scolaire, enchaînant les petits boulots galères pour tout à coup se trouver à la tête d'une entreprise plus que fructueuse. Une histoire qui peut faire rêver pas mal de monde (mais pas tout le monde, soyons honnêtes).

Ça fait des mois que j'ai envie de vous écrire cet article. Des mois parce que je n'arrivais pas à avancer, excédée par son ton, ses conseils et sa vanité. Et plusieurs choses m'ont énervées en lisant ce livre.



Alors comme ça, vous voulez devenir une #GIRLBOSS ?

(Littéralement le titre du 1er chapitre, hum)

Tout d'abord, à chaque fois que l'autrice s'adresse à nous (aux femmes seulement, d'ailleurs), elle nous appelle #GIRLBOSS. Certes, quel formidable coup marketing que d'intégrer son hashtag directement au récit pour que les lectrices s'identifient directement et puisse prêcher la bonne parole sur les réseaux sociaux. En cela, je ne m'étonne même pas du ras-de-marée que la sortie du livre avait provoquée à l'époque. Sauf que pas de bol, j'ai horreur qu'on m'infantilise quand on s'adresse à moi. Vous savez, comme quand le programme Jeune d'un service vous tutoie ?

Absolument pas moi en lisant rien que le premier chapitre

Une fausse idée de libération

Sophia Amoruso nous raconte en 204 pages son expérience en se félicitant de ne jamais être passée par une grande école et d'avoir été une marginale. Elle s'acharne, tout au long du livre à faire passer le message que n'importe qui peut réussir le pari que représente une entreprise et attribue une bonne partie de son succès au fait de ne pas rentrer dans les clous. Sauf que l'autrice semble oublier quelque chose d'important : si elle ne rentrait effectivement pas dans les clous à l'époque de sa boutique Ebay, force est de constater qu'elle est désormais « bien rangée », sans que rien ne dépasse.

L'histoire des fauteuils Herman Miller

Page 98, l'autrice nous raconte qu'avec ses propres sous, elle s'était acheté un fauteuil de la marque Herman Miller (assez couteuse) pour se récompenser de son travail (même si elle l'avait pris d'occasion, pense-t-elle à justifier). Elle n'était pas la seule à avoir besoin de s'équiper d'un nouveau fauteuil de bureau puisque toute l'entreprise en avait besoin. Avant que la commande de nouveaux fauteuils soient passée, l'autrice a pris une semaine de vacances. À son retour, elle découvre avec horreur qu'en son absence tous les sièges de bureaux avaient été remplacés par des Herman Miller. Constatant avec horreur ce changement, elle cherche à les retourner, ce qui était impossible et explique que c'est son administrateur qui a finalement passé 6 mois sur un site d'occasion à revendre chacun des fauteuils, parce qu'après tout « pas question de laisser les stagiaires rouler d'un bout à l'autre de leur bureau sur ces trucs-là ».

Ce que souhaite montrer Sophia Amoruso dans ce passage, c'est que l'entreprise étant encore à ses débuts, il fallait encore se serrer la ceinture et se payer des fauteuils aussi luxueux serait la même chose que de crier victoire alors que la course n'est pas finie. Et même si j'entends tout à fait ce raisonnement, j'ai trouvé extrêmement violente cette petite phrase sur les stagiaires qui démontre quand même un certain mépris hiérarchique même si elle s'évertue tout au long du livre à s'en défendre et en vantant les mérites de son entreprise.

En plus ils ressemblent à rien ces sièges.

Des conseils à côté de la plaque

« Il est donc important de mettre 10% de votre salaire de votre côté de façon régulière »
p.150
Ce que je peine à croire, c'est comment une personne qui a connu des périodes de disette au point de ne pas pouvoir soigner sa hernie puisse penser ainsi. Alors bien sûr, mettre de côté n'est pas une idée idiote en soi, bien sur que ça permet d'être plus tranquille en cas de galère. Mais combien d'entre nous peuvent-ils réellement se permettre de mettre 10% de côté ?! Certes, c'est un ouvrage avant tout destiné pour les États-Unis, mais je ne crois pas que les niveaux de vie français et américain soient si différents que ça. Conseiller de mettre 10% de côté chaque mois c'est nier la véritable détresse de certaines personnes qui peinent tout juste à manger tout au long du mois.




Un effrayant culte de la personnalité (attention, perle)

« À trois ans, j'étais un haut-parleur. Quand il y avait de la musique sur notre chaîne stéréo, je me mettais dans un coin de la pièce comme une statue, la bouche ouverte, prétendant que les sons émanaient de moi. À quatre ans, j'étais un appareil photo. Je prenais des clichés avec mes yeux, cadrant l'image dans mon champ visuel puis clignant des yeux à personnifier des objets inanimés dès que l'occasion s'est présentée. Mais je n'ai jamais fait tapisserie ».
p. 175

Entendons-nous : je n'ai rien contre l'estime de soi et je trouve ça plutôt admirable quand les gens arrivent à dépasser leur syndrome de l'imposteur, parce qu'il s'agit d'un véritable fléau pour son épanouissement personnel et surtout parce qu'il y a bien des domaines dans lesquels je n'ai pas réussi à le combattre, malgré mes efforts. Pour autant, je ne porte pas tellement dans mon coeur les gens complètement imbus de leur personne. En même temps je me demande qui tolère un tel comportement ? Bref. En lisant ce passage, j'ai lâché un ricanement dans le métro en me disant « mais non, elle a pas osé ? ». Il y a certes des passages où j'arrive à discerner l'humour de l'autrice, je vois bien qu'elle ne pense pas ce qu'elle dit quand elle se vante, mais clairement ce passage était premier degré. En fin de compte, c'est son audace qui m'a littéralement sidérée. Et surtout, j'ai du mal à comprendre son discours qui paraît si contradictoire. Elle tente de nous convaincre que c'est à la portée de tout le monde de mener une entreprise au succès (sous peine de s'en donner les moyens seulement) tout en soulignant à quel point elle est exceptionnelle et se convainc qu'elle était destinée à de grandes choses même si ça semblait mal parti pour elle.

Comment j'ai vécu le discours de Sophia Amoruso, gif tout à fait transposable à tous les profs de Droit de ce pays

Si vous êtes mal fringué.e.s, c'est normal que les gens soient malveillants avec vous

« Si je vous vois en soirée en train de boitiller comme un poulain blessé, j'aurai envie de vous bousculer. En fait, je vous bousculerai, et si je suis capable de faire ça, c'est que vous avez échoué à vous approprier quoi que ce soit ».
p. 195

Dans ce passage sur l'appropriation du style, Sophia Amoruso explique à quel point il est important d'avoir fière allure pour se donner toutes les chances d'atteindre ses objectifs. C'est donc tout naturellement qu'elle enchaîne avec ce passage sur les gens mal habillés qu'elle a envie de brusquer parce qu'ils n'ont pas d'allure. Je crois que c'est à ce moment là que je me suis dit qu'il n'y avait presque rien de bon à tirer de ce foutu livre. Ça m'a juste outrée, en fait. Purement et simplement.

Ambiance Lolita Malgré Moi

Je vous passe les citations mielleuses en début de chaque chapitre et de section - dont celle de Trump. Bon, à sa décharge quand le livre était sorti nous étions en 2014 et il était encore loin d'être président ou même de s'être positionné politiquement (il annonce sa candidature en juin 2015). Toujours est-il que j'ai été extrêmement déçue par ce livre. Ce que j'ai retenu de son histoire, en somme, c'est qu'elle nous encourage à entrer dans le moule, même si elle ne le dit pas avec ces mots.

Par ailleurs, il faut aussi souligner que la marque Nasty Gal s'est déclarée en faillite en 2016 pour être finalement rachetée par le groupe Boohoo en février 2017. Ce n'est donc plus Sophia Amoruso qui est à la tête de la boutique. Loin de moi de me réjouir de l'échec des autres tout en gardant à l'esprit que le monde des affaires est cruel et que parfois les choses ne tiennent qu'à un fil, j'ai tout de même trouvé que l'excès d'assurance dont elle fait preuve dans le bouquin n'est pas tellement justifié si on en croit l'actualité.

En définitive, même si quelques suggestions peuvent quand même être sauvées de son discours pédant au possible, je ne crois pas qu'il vaille vraiment la peine de s'attarder sur ce bouquin. Du coup merci mais non merci.

Bon, je crois que vous avez compris que j'ai bof aimé ?

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