S'il
y a bien une question qui ne cesse de revenir dans mes pensées tous
les deux mois, c'est bien celle de l'Homme et l'Artiste.
Naturellement,
si cette question revient perpétuellement à mon esprit, c'est
malheureusement parce que tous les deux mois (voire moins), nous
avons affaire à un nouveau scandale qui met en lumière les
agissements douteux et/ou condamnables de certain·es artistes, de
tout bord.
Je
me suis longtemps cru face à un dilemme : vais-je continuer
d'apprécier l'oeuvre de quelqu'un en apprenant que je n'adhère pas
du tout à ses valeurs ? Et je sais bien que je ne suis pas la
seule à me poser cette question.
Faut-il
continuer à apprécier les œuvres concernées quand bien même ces
œuvres ont pu nous toucher au plus profond de notre âme ?
Qu'il s'agisse d'un film, d'une chanson, d'une photographie... Une
chose est sûre, c'est un sujet délicat à traiter. Bien sûr, je
prends le nom « homme », étant donné l'expression. Mais
il y a évidemment de tout pour faire un monde.
Avant
que je ne sois plus impliquée que ça dans les milieux militants, je
ne vais pas vous mentir : j'avais tendance à faire abstraction
de ce genre d'informations. Je ne préférais pas savoir ou encore
activer inconsciemment un mécanisme de dissonance cognitive qui est,
force est de constater bien arrangeant quand on a besoin de faire
l'autruche.
Le
mouvement #MeToo qui a fait tomber bien des noms a complètement
bouleversé ma façon de voir les choses.
La
question ici n'est pas purement axée autour d'Harvey Weinstein et
des autres producteurs concernés qui ne sont pas à la base même de
la création artistique mais qui sont essentiels pour que l'oeuvre
voit le jour. Pour autant, il est tout de même insupportable de
penser regarder un film tout en sachant qu'une actrice a été violée
par son producteur pendant le tournage.
Je
parle plutôt des artistes en eux-même. Quelle difficulté de
réussir à se détacher d'une œuvre que l'on apprécié pendant
tant d'années pour finalement découvrir que la personne qui en est
à l'origine a commis des choses horribles !
Vous
vous en doutez, je ne mets pas tout le monde dans le même panier. Il
y a bien évidemment une différence à faire entre l'artiste avec
lequel je ne suis politiquement pas d'accord et celui ou celle qui a
été condamné·e pour des crimes ou délits graves.
Il
y a aussi le principe de la présomption d'innocence. Mes études de
Droit m'ont appris à ne pas passer à côté, car elle garantit l'impartialité dans une affaire. Elle est primordiale pour quiconque se
fait accuser à tort puisqu'une fois que votre nom est traîné dans
la boue, il semble bien difficile de s'en remettre.
D'un
autre côté, lorsqu'on s'attarde au mouvement #MeToo justement, on
voit bien que beaucoup trop de personnes ont fait l'objet de
plusieurs accusations, qu'il existe des preuves mais que la justice
peine à faire son travail. Surtout que, puisque nous sommes loin de
vivre dans un monde parfait, beaucoup de personnes accusées
reconnaissant elles-mêmes les faits font en sorte de devenir
intouchables au point de ne jamais être reconnues coupables de leurs
agissements.
Kevin
Spacey était mon acteur favori de tous les temps. Mes films préférés
étaient American Beauty et Usual Suspects, j'adorais House of Cards,
j'ai été ébahie par sa prestation dans Seven. Je le respectais
d'autant plus qu'il tenait à garder sa vie privée, sans jamais trop
s'exposer ou donner énormément d'interviews hors promo. Je suis
tombée de haut quand j'ai entendu les premières accusations, quand
il a réagit en reconnaissant les faits mais en en profitant pour
faire son coming out, qu'il voyait comme une excuse à ses immondices
puis qu'il a sorti cette saleté de vidéo au réveillon de Noël
2018 après que les accusations se sont multipliées, expliquant
que s'il n'avait pas payé pour les crimes qu'il avait commis
pourquoi paierait-il pour ceux qu'il n'avait pas commis ? J'ai
été déçue, énervée mais surtout hors de moi. Autant la vidéo a
eu un effet immédiat parce que je la découvrais au moment où elle
a été publiée, autant la première fois, il m'a été difficile de
reconsidérer toute sa filmographie, tout simplement parce que les
révélations ont chamboulé mon cheminement et ma personnalité.
Kevin Spacey face à Internet le 24 décembre 2018, fig. 1
Finalement,
je me dis que si j'apprécie quelqu'un pour ce qu'il fait et ce que
je crois être sa personnalité, comme ne pas être dans le rejet si
j'apprends que cette personne s'est bien payé ma tête pendant tout
ce temps ? D'autant plus quand d'affreux crimes sont en jeu.
En
même temps, lorsque la majorité des personnes qui ont contribué à
une œuvre n'étaient pas au courant de ce qu'il s'est passé ou ce
qu'il se passait, doit-on quand même tout rejeter en bloc ?
Évidemment, je sais bien qu'il y a forcément des gens qui étaient
au courant au moment des faits, mais cela est inhérent à chaque
cas.
Sans
compter que j'ai compris avec ma déconstruction, c'est-à-dire avec
mon désapprentissage de ce que nous impose la société (exemple que
l'objectif d'une vie est d'avoir un·e époux·se, une maison, deux
enfants et un chien), qu'il était aussi important de soutenir toutes
ces victimes qui se battent depuis des années ou bien qui se murent
dans le silence craignant des représailles sur leur vie, sur leur
carrière, parce qu'on leur a dit que ces personnes là étaient
intouchables et qu'il ne faudrait pas assez d'une vie pour pouvoir
les faire tomber.
En
fait ce qui est le plus agaçant, c'est ce sentiment de trahison. De
faire confiance à un·e artiste qu'on ne connaît pourtant pas et de
la laisser saccager ce qui nous a permis de nous construire en tant
qu'humain.
L'Homme
et l'Artiste sont indissociables, c'est évident. J'apprécie une
œuvre parce que je m'en sens proche et que j'ai l'impression que la
personne qui est derrière cela me comprend. Mais est-ce que je tiens
toujours à cette impression quand j'apprends que la personne est
pédophile ? (Si vous avez répondu oui, allez consulter).
Lorsqu'une œuvre voit le jour, c'est surtout grâce au mental de
l'artiste qui l'a fait naître.
Est-ce
que j'ai envie de me laisser toucher par quelque chose qui a baigné
dans le cerveau le plus fucked up qui soit ? Je ne crois pas.
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