mardi 19 février 2019

L'Homme et l'Artiste – Comment réagir face aux révélations ?


S'il y a bien une question qui ne cesse de revenir dans mes pensées tous les deux mois, c'est bien celle de l'Homme et l'Artiste.

Naturellement, si cette question revient perpétuellement à mon esprit, c'est malheureusement parce que tous les deux mois (voire moins), nous avons affaire à un nouveau scandale qui met en lumière les agissements douteux et/ou condamnables de certain·es artistes, de tout bord.


Je me suis longtemps cru face à un dilemme : vais-je continuer d'apprécier l'oeuvre de quelqu'un en apprenant que je n'adhère pas du tout à ses valeurs ? Et je sais bien que je ne suis pas la seule à me poser cette question.

Faut-il continuer à apprécier les œuvres concernées quand bien même ces œuvres ont pu nous toucher au plus profond de notre âme ? Qu'il s'agisse d'un film, d'une chanson, d'une photographie... Une chose est sûre, c'est un sujet délicat à traiter. Bien sûr, je prends le nom « homme », étant donné l'expression. Mais il y a évidemment de tout pour faire un monde.

Avant que je ne sois plus impliquée que ça dans les milieux militants, je ne vais pas vous mentir : j'avais tendance à faire abstraction de ce genre d'informations. Je ne préférais pas savoir ou encore activer inconsciemment un mécanisme de dissonance cognitive qui est, force est de constater bien arrangeant quand on a besoin de faire l'autruche.

Le mouvement #MeToo qui a fait tomber bien des noms a complètement bouleversé ma façon de voir les choses.

La question ici n'est pas purement axée autour d'Harvey Weinstein et des autres producteurs concernés qui ne sont pas à la base même de la création artistique mais qui sont essentiels pour que l'oeuvre voit le jour. Pour autant, il est tout de même insupportable de penser regarder un film tout en sachant qu'une actrice a été violée par son producteur pendant le tournage.

Je parle plutôt des artistes en eux-même. Quelle difficulté de réussir à se détacher d'une œuvre que l'on apprécié pendant tant d'années pour finalement découvrir que la personne qui en est à l'origine a commis des choses horribles !

Vous vous en doutez, je ne mets pas tout le monde dans le même panier. Il y a bien évidemment une différence à faire entre l'artiste avec lequel je ne suis politiquement pas d'accord et celui ou celle qui a été condamné·e pour des crimes ou délits graves.

Quand j'apprends qu'un illustrateur que j'aime est de droite

Il y a aussi le principe de la présomption d'innocence. Mes études de Droit m'ont appris à ne pas passer à côté, car elle garantit l'impartialité dans une affaire. Elle est primordiale pour quiconque se fait accuser à tort puisqu'une fois que votre nom est traîné dans la boue, il semble bien difficile de s'en remettre.

D'un autre côté, lorsqu'on s'attarde au mouvement #MeToo justement, on voit bien que beaucoup trop de personnes ont fait l'objet de plusieurs accusations, qu'il existe des preuves mais que la justice peine à faire son travail. Surtout que, puisque nous sommes loin de vivre dans un monde parfait, beaucoup de personnes accusées reconnaissant elles-mêmes les faits font en sorte de devenir intouchables au point de ne jamais être reconnues coupables de leurs agissements.

Kevin Spacey était mon acteur favori de tous les temps. Mes films préférés étaient American Beauty et Usual Suspects, j'adorais House of Cards, j'ai été ébahie par sa prestation dans Seven. Je le respectais d'autant plus qu'il tenait à garder sa vie privée, sans jamais trop s'exposer ou donner énormément d'interviews hors promo. Je suis tombée de haut quand j'ai entendu les premières accusations, quand il a réagit en reconnaissant les faits mais en en profitant pour faire son coming out, qu'il voyait comme une excuse à ses immondices puis qu'il a sorti cette saleté de vidéo au réveillon de Noël 2018 après que les accusations se sont multipliées, expliquant que s'il n'avait pas payé pour les crimes qu'il avait commis pourquoi paierait-il pour ceux qu'il n'avait pas commis ? J'ai été déçue, énervée mais surtout hors de moi. Autant la vidéo a eu un effet immédiat parce que je la découvrais au moment où elle a été publiée, autant la première fois, il m'a été difficile de reconsidérer toute sa filmographie, tout simplement parce que les révélations ont chamboulé mon cheminement et ma personnalité.

Fire Kitchen GIF
Kevin Spacey face à Internet le 24 décembre 2018, fig. 1

Finalement, je me dis que si j'apprécie quelqu'un pour ce qu'il fait et ce que je crois être sa personnalité, comme ne pas être dans le rejet si j'apprends que cette personne s'est bien payé ma tête pendant tout ce temps ? D'autant plus quand d'affreux crimes sont en jeu.

En même temps, lorsque la majorité des personnes qui ont contribué à une œuvre n'étaient pas au courant de ce qu'il s'est passé ou ce qu'il se passait, doit-on quand même tout rejeter en bloc ? Évidemment, je sais bien qu'il y a forcément des gens qui étaient au courant au moment des faits, mais cela est inhérent à chaque cas.

Sans compter que j'ai compris avec ma déconstruction, c'est-à-dire avec mon désapprentissage de ce que nous impose la société (exemple que l'objectif d'une vie est d'avoir un·e époux·se, une maison, deux enfants et un chien), qu'il était aussi important de soutenir toutes ces victimes qui se battent depuis des années ou bien qui se murent dans le silence craignant des représailles sur leur vie, sur leur carrière, parce qu'on leur a dit que ces personnes là étaient intouchables et qu'il ne faudrait pas assez d'une vie pour pouvoir les faire tomber.

En fait ce qui est le plus agaçant, c'est ce sentiment de trahison. De faire confiance à un·e artiste qu'on ne connaît pourtant pas et de la laisser saccager ce qui nous a permis de nous construire en tant qu'humain.

L'Homme et l'Artiste sont indissociables, c'est évident. J'apprécie une œuvre parce que je m'en sens proche et que j'ai l'impression que la personne qui est derrière cela me comprend. Mais est-ce que je tiens toujours à cette impression quand j'apprends que la personne est pédophile ? (Si vous avez répondu oui, allez consulter). Lorsqu'une œuvre voit le jour, c'est surtout grâce au mental de l'artiste qui l'a fait naître.

Est-ce que j'ai envie de me laisser toucher par quelque chose qui a baigné dans le cerveau le plus fucked up qui soit ? Je ne crois pas.

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