mardi 26 mars 2019

Marketing et société – Faut-il croire aux publicités engagées ?


« Tout s’achète : l’amour, l’art, la planète Terre, vous, moi... Surtout moi. L’homme est un produit comme les autres. Avec une date limite de vente. Je suis publicitaire. Je suis de ceux qui vous font rêver des choses que vous n’aurez jamais. Ciel toujours bleu, nanas jamais moches, bonheur parfait retouché sur Photoshop. Vous croyez que j’embellis le monde ? Perdu, je le bousille. »

Octave Parango, 99F, Fréderic Beigbeder.


Alors je suis désolée de faire une entrée aussi clichée avec le passage d'une œuvre qui parle très cyniquement de publicité mais n'oubliez pas que je suis une meuf ultra subversive et que je trempe tous les jours ma plume dans du vitriol (à l'instar d'Adrien Ménielle, finalement).


Plus sérieusement, quoi de mieux que 99F pour se rappeler tout le côté manipulateur des nouvelles publicités qu'on a eu tendance à oublier ces derniers temps ? Je parle bien évidemment du cas des publicités engagées.
On a vu ces derniers temps fleurir un bon nombre de spots marquants, qui laissent place à l'idée qu'il faut changer les choses. Je vous avoue que je ne sais jamais vraiment quoi penser de ces prises de position et je pense que je ne suis pas la seule, c'est pourquoi j'ai décidé de creuser le sujet avec vous aujourd'hui.

La publicité n'a qu'un seul but : nous faire acheter des produits. Ce n'est pas moi qui l'invente, c'est la définition du mot. Le dictionnaire Larousse le dit lui-même (oui il me parle) : « activité ayant pour but de faire connaître une marque, d'inciter le public à acheter un produit, à utiliser un service...etc ».
Et puis d'ailleurs il n'est pas le seul, le site
Trésor de la Langue française le dit aussi : « Action, fait de promouvoir la vente d'un produit en exerçant sur le public une influence, une action psychologique afin de créer en lui des besoins, des désirs; ensemble des moyens employés pour promouvoir un produit »

Bref vous l'aurez compris, tout ce qui est entrepris dans la promotion d'un produit est fait pour que donniez votre argent aux marques. La multiplication des publicités engagées réveille un sentiment plus complexe dans nos têtes puisqu'elle mêle aspect mercantile et pathos.

Je dis pathos parce qu'on a tous et toutes vu au moins une fois une de ces pubs qui ont un message fort, qui nous touchent en plein cœur parce qu'elles semblent aller sur des terrains jamais abordés par le monde de la publicité et parce que les agences font mine de nous comprendre.

Vous ne voyez pas de quoi je parle ? Très bien, voici le dernier spot marquant de Nike, Dream Crazier :




La marque met ici en valeur les femmes, qui sont dépeintes comme des personnes fortes, en parlant des combats qu'elles mènent chaque jour pour être prises au sérieux au lieu d'être considérées comme folles parce qu'elles prennent les choses un peu trop à cœur selon la majeure partie de la société.

À vrai dire, Nike est habitué des pubs qui se veulent engagées ou en tout cas qui suscitent l'admiration de la part des consommateur·ices grâce à leur slogan fort et efficace : Just Do It. Je repense à un spot dont je n'arrive pas à trouver le lien avec un sportif qui racontait son histoire et sa lutte pour récupérer l'usage de ses jambes et sa forme athlétique après un accident grave. C'était une voix off posée sur l'animation d'un petit bonhomme en phase de rééducation qui a atteint son objectif à force de volonté et de travail.

Je n'ai pas fait d'études de commerce donc j'ignore si Nike est réellement la première marque à s'être lancée sur ce terrain là (hors marques véritablement éthiques) mais le temps passant, les autres marques ont commencé à produire des campagnes de ce type.

Grâce à ces campagnes, elles créent un nouveau lien avec les consommateur·ices: un sentiment de proximité. Comme les politiques, elles donnent l'impression d'avoir saisi le message en nous disant directement « je vous comprends ». Mais comme pour les politiques, difficile d'y voir ici une preuve de sincérité. Rapport à l'aspect mercantile de la manœuvre, encore une fois.


Une publicité qui a largement marqué les esprits l'an passé est la pub de Gillette qui aborde la masculinité toxique en mettant en scène des hommes déconstruisant les clichés virilistes qui veulent qu'un homme doit être macho, ne jamais pleurer et être fort pour être considéré comme tel aux yeux de la société.


Face à cette vidéo, on a dit que le spot de Gillette était courageux, qu'il était sensationnel après avoir utilisé pendant tant d'années le slogan « Gillette, la perfection au masculin ».

Ce spot a même réussi à susciter une petite polémique auprès d'hommes absolument contre les nouvelles valeurs que portent la marque et qui pour montrer leur désaccord se sont filmés en train de jeter leurs rasoirs Gillette dans les toilettes. Quels héros !



Outre l'unique visée marketing que cache une campagne engagée, je m'interroge très sérieusement sur la manière d'accueillir ce genre de spots.

D'une part, je me dis qu'elles sont l'indicateur de changements sociétaux et j'ai envie d'y croire. Même si l'on garde à l'esprit que le but ultime d'une marque est de nous vendre un produit, il n'en demeure pas moins que parler de sujets plus engagés, porter de nouvelles valeurs prouve que la société est en pleine évolution et que l'on tend vers quelque chose plus positif.

Typiquement, l'offre de produits végétariens et/ou véganes a explosé ces derniers temps dans les supermarchés parce que les marques de l'industrie agro-alimentaires ont compris qu'il y avait du fric à se faire. Même en gardant cette idée en tête, cela reste bénéfique pour les végétariens et les personnes qui ont un régime végétalien puisqu'elles ont accès à plus de produits correspondant à leur engagement envers les animaux (même si finalement, il ne correspond pas à l'engagement pour la planète puisque la majorité des produits sont vendus dans du plastique mais ce n'est pas vraiment le sujet).

D'autre part, j'ai encore beaucoup de mal à être entièrement enjouée face à une publicité du genre. Je prends l'exemple de Nana qui pendant des années a fait la promotion de serviettes ou de tampons hygiéniques grâce à du liquide bleu pour démontrer les capacités absorbantes de ces produits, ce qui a eu pour conséquence de propager l'idée que les règles sont sales (lisez l'excellent livre de Taous Merakchi sur le sujet, oh bah quel surprise j'en ai fait un article à lire ici !).




Cette nouvelle campagne montre l'utilisation d'un liquide rouge, bien plus proche du sang des règles. Alors certes, c'est une bonne chose pour la fin du tabou des règles et leur acceptation à travers le monde mais c'est aussi une façon de nous rire au nez.

Quand je vois ce spot, je ne peux pas m'empêcher de titler sur le rose de la marque
Nana qui est encore considéré comme la majorité des marques comme une couleur appartenant exclusivement aux femmes et même aux filles, plus précisément et qui donc nourrit d'autres stéréotypes.

Et je me rappelle également que
Nana comme Always, leaders du marché, refusent encore et toujours de dévoiler la composition exacte de leurs produits que l'on soupçonne fortement de contenir de la javel pour les rendre aussi blancs. Alors même qu'il s'agit d'un véritable problème sanitaire puisque vous vous douterez que le corps va absorber toutes les substances toxiques contenues dans ces produits.

Autrement, ces marques font un pas vers une valeur nouvelle tout en passant sous silence les autres. Je reprends l'exemple de Nike donne l'impression de lutter pour l'égalité alors que l'entreprise continue de fabriquer ses produits en Inde et en Asie au mépris de la vie humaine à force d'exploitation.

Il y a quelques mois je suis allée voir un film au cinéma et ce n'est pas sans stupéfaction que j'ai découvert cette publicité de Danone :


Danone donne à son public européen l'impression d'un engagement sérieux envers la planète et la préservation de l'environnement. Pour le coup, je n'ai a aucun moment été émerveillée par cette pub et j'ai même été plutôt énervée. Pourquoi ? Tout simplement parce que Danone est à l'origine d'un pur scandale sanitaire en Indonésie.

La célèbre émission d'Élise Lucet,
Cash Investigation (à retrouver ici, à partir d'1h24min) révélait en 2015 que l'entreprise mettait en vente un lait en poudre ayant causé des cas de malnutrition, de déshydratation voire même de mort chez les bébés qui en ont consommé. Pourquoi ? Parce que le lait en poudre par définition doit être mélangé à de l'eau. Sauf qu'en Indonésie, l'eau n'est pas toujours potable.

Le gouvernement avait interdit la promotion de ce produit dans le pays mais le géant agro-alimentaire a contourné cette interdiction en rémunérant par des cadeaux les sages-femmes qui encourageaient les mères hospitalisées à utiliser ce produit en remplacement de l’allaitement, alors même que l'allaitement est conseillé dans les 6 premiers mois de la vie d'un nourrisson, selon l'Organisation Mondiale de la Santé.

Sans même avoir à les convaincre, les médecins ont même forcé certaines mères à habituer leurs bébés au lait en poudre en ignorant volontairement le fait que leur niveau de vie ne leur permettait pas d'acheter ce lait une fois rentrées à la maison, conduisant ces femmes à diluer le produit dans de l'eau non potable et à ces graves problèmes de santé.

Élise Lucet, ma meuf sûre.

L'exemple est extrême et c'est voulu. Ici la marque se fout entièrement de vous et dans le même temps vous faire croire à un engagement pour la planète.

Donc finalement, que penser de cette facette du marketing ?

L'idée de cet article n'est absolument pas de vous dicter une façon de penser, qui suis-je pour le faire (et de toute façon je pars du principe que personne sur Terre ne doit le faire) ? Je souhaite plutôt vous inciter à réfléchir et échanger avec moi sur le sujet, malgré un titre un peu aguicheur...

Les mentalités changent et la publicité doit à mon sens forcément passer par ces campagnes pour enclencher ces changements. Mais il faut toujours garder à l'esprit l'unique but mercantile de ces entreprises.

J'aimerais pouvoir dire que je ne me fais jamais manipuler par les marques mais c'est complètement faux et le monde entier est sans cesse manipulé (sauf peut-être Pierre Rabhi). Pour autant je m'efforce de faire travailler mon objectivité pour éviter autant que possible de me faire avoir.

Toujours est-il que j'ai un sentiment très inconfortable une fois passé la satisfaction de voir un nouveau spot de publicité engagé. Et je ne sais pas si je suis la seule.
Vous en pensez quoi vous, de toutes ces publicités engagées ?


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire