mardi 14 janvier 2020

Réseaux sociaux et condition féminine : quelles avancées pour la déculpabilisation des femmes ?


Cette image ne vous dit rien ? Vous n'avez pas l'impression de l'avoir déjà vue mille fois sur Instagram ? Mais si vous savez, ce design épuré, cette impression que tout est à sa place, bien rangé... Vous voyez de quoi je veux parler ?

J'ai mis du temps avant d'écrire ce sujet. Parce que je me suis dit que je n'aurai jamais assez d'un article pour écrire là-dessus. Et c'est probablement le cas : je pourrai continuer longtemps à parler de ça, je ne ferai jamais assez de recherches, n'interrogerai jamais assez de monde. Pourtant aujourd'hui je sens que c'est le bon jour pour parler de ça et vous proposer d'y réfléchir ensemble.

Il y a un peu plus d'un an maintenant, je lisais tranquillement le livre Libérées de Titiou Lecoq quand j'ai été particulièrement happée par l'un de ces chapitres. Ce livre, axé autour des tâches ménagères imposées aux femmes établit le lien entre réseaux sociaux et condition féminine. C'est ainsi qu'au chapitre III intitulé « La vie rêvée des femmes », nous pouvons lire ceci :

« Les réseaux sociaux sont devenus le lieu de propagation d'une nouvelle dictature domestique avec des normes extrêmement élevées et uniquement à la charge des femmes, les hommes étant physiquement absents de ces images » (p.123).

À la lecture de ce chapitre, si j'étais tout à fait d'accord avec l'autrice, j'ai eu comme l'impression que cette dictature dont elle parlait était plutôt appliquée à une époque révolue d'Instagram.

Lisez ce livre, il est très bien.

Comme pour tout dans la vie, Instagram a fonctionné par tendances (d'ailleurs qui oserait dire que ce n'est plus le cas en voyant tous ces filtres aléatoires poper dans nos stories?). Et il fut un temps où effectivement, la mode était aux feeds épurés, articulés autour des couleurs grises et blanches. La décoration d'intérieur scandinave avait le vent en poupe. Tous les intérieurs présentés sur la plateforme étaient cocooning (ou hygge), extrêmement rangés pour donner une impression de sérénité. Et je pense que ce moule Instagram a poussé bien des femmes à faire bien plus souvent le ménage à la maison.

Je le confesse : je suis d'ailleurs moi-même tombée dans ces travers. À ma sauce, certes, mais quand même. Mon compte personnel était très réfléchi, toujours sur les mêmes tons, ce qui impliquait également de vivre dans une espèce de monochrome sans saveur. J'ai été vite ennuyée par cette façon de créer. Déjà parce que je tenais à présenter mes photos de portrait, mais aussi parce que la couleur a fini par me sauter à la figure sans crier gare.


On est sur une vraie différence, n'est-ce pas ?

Avec le recul, je m'en veux d'être tombée dans ce jeu pervers. Ok, je m'amusais pas mal à créer avec des contraintes, mais je constatais bien au fur et à mesure de ma production que je voulais de plus en plus d'objets de qualité à mettre en avant, pour dépenser les sous que je n'avais pas dans des objets onéreux au design épuré. Moi aussi, rentrer dans le moule pour me prouver que tout n'était pas mieux chez les autres, que moi aussi je pouvais avoir de jolies choses chez moi. Oui, j'ai été cette personne et pourtant je ne voulais pas l'être. Parce que tout ce que je voyais autour de moi c'était ça, et que je croyais avoir trouvé ce que je voulais. Je me trompais.

Mais alors est-ce qu'Instagram a réellement fait reculer la condition féminine ?

Si l'on transpose la question des intérieurs à la question des corps, on est en droit de s'interroger : que faisons-nous de toutes ces fitgirls et autres influenceuses extrêmement fines qui peuvent parfois faire culpabiliser leurs communautés à cause de leur taille de guêpe ?

Loin de moi l'idée de shamer qui que ce soit, tout le monde fait bien ce qu'il veut du moment qu'il est bien dans son corps et qu'il ne met pas en danger sa santé. Je dis simplement que la vague healthy qui avait frappé Instagram à peu près au même moment que la tendance cocooning avait mis à mal un certain nombre d'estimes de soi. Au point que plusieurs de mes amies m'ont rapporté avoir supprimé leur compte parce qu'elles en avaient marre de culpabiliser en comparant leur vie à celle des autres (c'est une donnée très scientifique, j'en ai conscience). Moi aussi, il m'est déjà arrivé de me sentir mal ou d'avoir l'impression que ma vie était moins bien à cause de ces comptes-là qui me culpabilisaient sans le vouloir.

Moi mangeant mes pâtes au fromage en pyjama devant un feed insta rempli de légumes et de meufs en maillot de bain

On aura beau dire, hein : c'est le jeu ma pauvre Lucette ! Instagram est comme tout réseau social une reproduction de ce que nous connaissons déjà dans la société (même si les réseaux sociaux ont leur évolution propre, il n'y a qu'à voir l'émergence spécifique des métiers d'influenceur·euses, de community managers et autres). À chaque fois que nous avons eu l'opportunité de faire quelque chose de différent grâce à une plateforme laissant le champ libre à notre imagination, nous avons répété les mêmes schémas que dans la société physique. Qui plus est, Instagram étant LE réseau social de l'image et uniquement dédié à ça, il était presque inévitable que les travers de la communication visuelle, de la publicité, de la mode et du marketing se reproduisent en s'intensifiant. Seulement comme cette fois ce n'est pas la seule et même voix des grandes industries qui donne le ton mais plutôt celle de plein de personnalités éparpillées sur le web, nous avons peut-être plus de mal à nous en détacher.

Pourtant Instagram a notamment contribué à l'émergence du mouvement bodypositive, qui permet de célébrer les corps dans leur pluralité, de s'affranchir des diktats et d'encourager tout le monde à s'aimer tel qu'il est. Et c'est une chance inouïe de pouvoir faire grandir ces mouvements qui permettent de faire des réseaux sociaux des endroits bien plus respirables.

C'est bien pour cette raison qu'il faut encourager les initiatives positives, celles qui montrent la vie telle qu'elle est, comme le font très bien Louise Aubery a.k.a My Better Self et Douze Février avec le hashtag #OnVeutDuVrai ou encore Coline qui explique son lâcher prise dans sa dernière vidéo. Je vous en parlais dans un précédent article, il me paraît indispensable aujourd'hui d'inverser la vapeur. Sans même être utopiste, je pense sincèrement au fond de moi que nous avons les moyens de faire des réseaux sociaux quelque chose de majoritairement positif, même si ce sont des outils résultants de notre fonctionnement capitaliste et que sans renversement de ce système nous n'arriverons à rien.

Mais c'est pas le sujet.

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