mardi 15 octobre 2019

Entre revendication et slutshaming – Les clips des années 90/2000


Dimanche dernier, une personne que je venais de rencontrer a effleuré la question de la représentation des femmes dans les clips des années 90/2000. Nous avons échangé quelques phrases à ce propos, en particulier sur notre différence de perception entre aujourd'hui et cette époque. J'avais trouvé cette conversation vraiment très intéressante et j'ai eu envie, aujourd'hui, de pousser un peu plus loin cette réflexion.


Aujourd'hui, quand je vois la vidéo d'une chanteuse peu vêtue sur YouTube, j'ai tendance à penser que je fais face à une femme forte, fière de ce qu'elle est et qui clame haut et fort son indépendance. En fait, je vois ce clip comme une revendication politique. Une revendication contre cette société qui a si longtemps dicté aux femmes ce qu'elles devaient penser, dire et porter. Aujourd'hui quand je vois la vidéo d'une chanteuse peu vêtue sur YouTube, je me dis que c'est incroyable et qu'il faut continuer. Mais ça n'a pas toujours été le cas.

Les années 90/2000 ont vu fleurir un certain nombre de clips mettant en scène des femmes en bikinis ou autre vêtement peu couvrant. Je ne parle pas ici des femmes figurant dans les clips de rappeurs qui ont tant été décriés au fur et à mesure du temps (on en parlera une autre fois si vous voulez) mais des femmes qui sont le centre de l'attention, comme les grandes figures de la pop que nous avons connus (ou que nous connaissons toujours) : Britney Spears, Christina Aguilera, Beyoncé, Rihanna et j'en passe.

Quand j'étais plus jeune, je me souviens avoir rejeté d'un bloc le groupe des Pussycat Dolls, non pas pour leur musique mais plutôt pour l'image qu'elles renvoyaient au reste du monde.


Avec le recul, j'ai essayé de comprendre pourquoi j'ai eu une réaction aussi épidermique en découvrant leur univers. Raison évidente : je n'avais encore aucune réflexion féministe et j'avais encore bien en tête ce que la société ne cessait de me répéter : « une femme convenable ne doit pas exhiber son corps et concentrer ses efforts sur son savoir intellectuel » (je vous avoue que même l'écrire ironiquement ça fait bizarre). Raison qui en découlait : à l'apparition du clip Don't Cha, mon entourage m'avait répété qu'elles « n'étaient que des stripteaseuses qui chantaient et dansaient », avec tout le dégoût que leur inspiraient ce métier.

Cette opinion, ce n'est pas seulement mon entourage qui me l'a forgé. C'est évidemment tout ce dans quoi le monde baignait à cette époque. Je me souviens de ce sketch de Florence Foresti (que je n'ai malheureusement pas réussi à trouver sur le web) qui présentait Rihanna comme « la reine de flûte » à cause de son accoutrement dans ses différents clips. Je me souviens de Thomas Ngigol parlant de sa petite sœur qui l'a fait hurler lorsqu'elle se prenait pour Beyoncé devant sa télé en culotte. Je me souviens aussi de P!nk qui, en 2006, sortait le single Stupid Girls tournant en ridicule les femmes exposant leur corps et se mettant sur un piédestal (oui, oui, je critique P!nk, vous avez bien lu). En fait, si je cite ces noms et ces exemples, ce n'est pas tant pour dénoncer les personnes qui en sont à l'origine mais plutôt pour dire : voilà l'état d'esprit dans lequel on était à l'époque. Je sais que P!nk n'est plus du tout dans ce genre de raisonnement à l'heure actuelle (et je ne dis même pas ça parce que je suis fan, mais simplement parce que je connais l'ampleur de ses engagements et de ses opinions).



En fin de compte, ce qui me dérange aujourd'hui avec Don't Cha, ce n'est pas tant la façon dont elles étaient vêtues mais plutôt la façon dont elles ont été mises en lumière dans le clip : de gros plans sur leurs fesses ou leurs poitrines. Et le message que je perçois de ce clip n'est pas « nous sommes fières de ce que nous sommes et nous le revendiquons » mais plutôt « nos corps sont un argument marketing ». Si cet argument peut se révéler superflu pour ce groupe qui est à la base une troupe de burlesque, il n'en reste pas moins véridique pour d'autres popstars de cette époque.


Je repensais au fameux « scandale » provoqué par Madonna, Britney Spears et Christina Aguilera en 2003 lors des MTV VMA.

Ces deux baisers entre femmes qui ont fait couler beaucoup d'encre ne se voulaient absolument pas militant. Il s'agissait d'une simple stratégie marketing pour faire générer une promotion mondiale de l'évènement, ce que l'agent de Britney de l'époque avouera des années plus tard. Objectif réussi mais décevant quand on y repense. Finalement le problème, c'est surtout toute l'instrumentalisation qui se cachait derrière cette prétendue libération des femmes.


Quand en 2001 Britney, pour se débarrasser de l'image de gentille petite fille sage qui lui colle à la peau, sort son morceau I'm a Slave 4 U, je ne peux pas m'empêcher d'avoir un sentiment de malaise face aux paroles et à son clip. Malaise causé non pas par le message qu'elle fait passer, mais plutôt par ce faux-semblant de revendication. Surtout quand on sait que la chanson a été écrite et composée par Pharrell Williams, le même Pharrel Williams qui 12 ans plus tard sortait le terrible Blurred Lines avec Robin Thicke (on se souvient du « I know you want it » qui n'est pas franchement un hymne au consentement).


Ce qui pose problème en vérité, c'est la marque de domination patriarcale qui absorbe toute cette époque, autrement dit le Male Gaze, qui impose au public une grille de lecture hétérocentrée et masculine. Là où aujourd'hui, le fait pour une femme d'apparaître nue dans un clip est teint d'une dimension plus politique.

Une dimension politique qui me paraît important de médiatiser. Comme par exemple avec le clip de la rappeuse Lala&ce dans son clip Serena (Botcho) qui s'est amusée à reconstituer la représentation des femmes dans les clips (de rap pour le cas présent), sans le prisme du patriarcat et en se jouant des stéréotypes. Merci d'ailleurs à Dany et Raz pour la découverte !


Alors je ne suis pas en train de dire « nions en bloc tous les clips des popstars des années 90/2000 ». Déjà, ce serait foutre un sacré bordel dans mes playlists et je ne suis pas prête à ça. Mais simplement s'interroger sur nos points de vue. Toujours est-il que la question reste compliquée :

Est-ce que ce n'est pas parce que ces femmes se sont montrées en petites tenues dans des clips que d'autres n'ont pas pris leur défense en montrant l'importance de faire ce qu'il leur plaisait ?

N'est-ce pas à cause de quelques popstars que nombre de complexes ont vu le jour chez les adolescentes ?

Et n'est-ce pas un peu réducteur que de considérer que toutes les chanteuses de cette époque étaient instrumentalisées par leur maison de disque en partant du principe qu'elles n'avaient pas de conscience ou leur mot à dire ?

Cette époque, je la décrie comme je l'aime et je pense qu'il ne faut pas la voir comme quelque chose de bon ou mauvais, mais plutôt comme une période complexe avec ses travers mais qui aura tout de même conduit les femmes à une certaine forme de revendication.

Ils vous inspirent quoi à vous, ces clips ?

2 commentaires:

  1. J'étais une grande fan des Pussycat Dolls à l'époque de ce clip ! J'avais 11/12 ans et je dois avouer que bizarrement, je ne voyais pas le clip ou la chanson comme tu le vois aujourd'hui. C'est sûrement parce que je comprenais pas l'anglais et je me posais pas la question de l'aspect "sexy" des filles parce que j'étais une jeune pré-ado ahah. Mais c'est super intéressant de voir l'image que tu as pu avoir de ces chanteuses quand tu étais ado' et que c'était "mal vu". Personnellement, j'adorais et je ne me posais pas la question de l'objectification de ces filles, mais c'est intéressant de se rendre compte de tout ça après coup.

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    1. C'est intéressant parce qu'effectivement, on se rend compte après coup de l'état d'esprit dans lequel on baignait à l'époque et ça permet de prendre du recul sur plein de choses !

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