mardi 3 mars 2020

La 45ème Cérémonie des Césars – De l'indignation à l'espoir

Comme beaucoup, ça m'a travaillé tout le week-end. Depuis les petites blagues de Florence Foresti au début de l'évènement, jusqu'à l'annonce de cette maudite récompense, en passant par les propos importants d'Aïssa Maïga. J'ai explosé, j'étais en colère, émue et j'ai réfléchi. Tout ça successivement, en boucle.

Comme beaucoup, la 45ème Cérémonie des Césars restera une date importante à mes yeux.





Mais avant d'en parler, je pense qu'il est important de faire un rappel des faits.

Roman Polanski est un réalisateur franco-polonais. En 1977, alors âgé de 44 ans, celui-ci drogue et viole une enfant de 13 ans, Samantha Gailey, au cours d'une séance photo organisée dans la maison de l'acteur Jack Nicholson alors absent. Sa mère porte plainte dès le lendemain.

Lors du procès, Polanski plaide non coupable contre les chefs d'accusation de : viol sur mineur, sodomie, fourniture d'une substance prohibée à une mineure, actes licencieux et débauche, relations sexuelles illicites et perversion. Il change finalement de stratégie et décide de plaider coupable pour détournement de mineur. Un accord intervient pour éviter un procès public. Le juge en charge de l'affaire, Laurence J.Rittenband, le condamne à 3 mois de prison afin de procéder à des examens psychologiques qui lui permettront de statuer. Condamné à 90 jours, il est libéré au bout de 47 pour bonne conduite. Les examens lui sont favorables mais le juge Rittenband change d'avis et souhaite condamner à nouveau Polanski. Il l'informe qu'il sera publiquement condamné à une peine indéterminée (pouvant aller jusqu'à 50 ans) mais qu'il sera officieusement libéré au bout de 48 jours s'il accepte de quitter définitivement les États-Unis. Comprenant qu'il risque la peine maximum à savoir 50 ans de prison, Polanski décide de fuir à Paris.

Il déclare quelques années plus tard (en 1979) avoir une préférence pour « les jeunes filles » face à Jean-Pierre Elkabache :


La justice américaine a cependant toujours refusé de clore l'affaire si le réalisateur ne revenait pas sur le sol américain.

Environ 20 ans plus tard, en 1993, Polanski s'engage à verser 500 000 dollars à Samantha Gailey (devenue épouse Geimer) sur le plan civil. Il semblerait qu'il n'ait pas tenu cet engagement dans le délai convenu tandis que la somme finale versée après le délai demeure inconnue. Un an plus tard, souhaitant revenir aux États-Unis, Polanski fait alors face à Roger Gunson, le procureur chargé du dossier. Ce dernier refuse d'absoudre Polanski et demande à ce qu'il se présente devant la cour.

Dans les années 2000, les avocats de Polanski cherchent l'abandon des poursuites par la justice américaine, en vain. Arrêté en 2009 à Zurich, Polanski aurait dû être extradé aux États-Unis suite à un accord américano-suisse. Pourtant, le Tribunal pénal fédéral helvétique ordonne contre l'avis du ministère de la justice la libération sous caution de Roman Polanski. Si le ministère ne fait pas appel. En 2010, une demande de jugement par contumace (quand l'accusé n'est pas présent au procès) est rejetée par le tribunal de Los Angeles. La même année, la cour d'appel californienne rejette la demande d'abandon des poursuites présentée par Samantha Geimer.

En 2013, Samantha Geimer sort un livre La fille : Ma vie dans l'ombre de Roman Polanski dans lequel elle annonce avoir pardonné son agresseur, sans nier le viol que Polanski décrivait comme une relation consentie.

En 2014, Roman Polanski, toujours considéré comme fugitif est censé se rendre, selon le tribunal de Los Angeles qui refuse de mettre un terme aux poursuites judiciaires. Enfin en 2015, la Pologne où résidait Polanski, refuse définitivement de donner suite à la demande d'extradition formulée par les États-Unis.

Il est à noter que le fonctionnement de la justice américaine diffère du système français : le fait que les poursuites aient été abandonnées dans un premier temps ne signifie pas forcément une innocence. Le système de caution et des arrangements permettent de libérer des personnes pourtant coupables des faits qui leurs sont reprochés.

Ça, c'est pour la première affaire.

Entre temps, 11 femmes accusent Roman Polanski d'agressions sexuelles et de viols dans les années 70. Dernière accusation en date : Valentine Monnier, photographe française qui a décidé de prendre la parole suite à la sortie du film J'accuse et au témoignage poignant d'Adèle Haenel face aux agressions de Christophe Ruggia.

Roman Polanski est un fugitif qui refuse de se soumettre à la justice américaine. C'est notamment pour ces raisons que les associations se montrent particulièrement virulente avec lui, à raison.

En 2017, quelques mois avant l'arrivée du mouvement #MeToo, l'Académie des Césars lui demande de présider la 42ème cérémonie. Polanski accepte puis renonce suite à une pétition ayant recueillies plus de 60 000 signatures. Un an plus tard, l'Académie des Oscars annonce exclure définitivement Roman Polanski.




Ce qu'il s'est passé vendredi soir dans la Salle Pleyel fut un électrochoc pour beaucoup de femmes et notamment de féministes.

J'accuse est un film inspiré du célèbre article du même nom, écrit par Émile Zola au cours de l'affaire Dreyfus. Dreyfus est alors accusé à tort d'avoir livré des documents à l'Allemagne et se voit condamné à perpétuité. Zola prend alors la défense d'un homme persécuté et innocent. Polanski s'est servi de cette affaire pour en faire son propre plaidoyer, en s'appropriant l'histoire. Et c'est encore un point qui aggrave la situation de Polanski.

J'ai été estomaquée devant l'annonce de la récompense qui selon moi est un crachat à la figure de toutes les victimes de violences sexuelles. Despentes l'a dit mieux que moi dans sa brillante tribune pour Libération, le message c'était : « Ta gueule, tu la fermes, ton consentement tu te le carres dans ton cul, et tu souris quand tu me croises parce que je suis puissant, parce que j’ai toute la thune, parce que c’est moi le boss» .




J'estime qu'on ne peut pas séparer l'homme et l'artiste, parce qu'ils font partie d'un tout. Encore plus quand on fuit son procès. Je ne supporte pas, je ne supporte plus qu'on mette dans la lumière des gens qui devraient se cacher pour ce qu'ils ont fait, qui n'ont pas le cran d'assumer, par pure lâcheté.

J'ai hurlé d'indignation en lisant l'immonde article du Point, décrivant le geste d'Adèle Haenel comme suit : « Idem pour l'actrice Adèle Haenel qui a bruyamment quitté la salle en criant sa « honte », sans que l'on sache vraiment si c'était pour le césar à Polanski ou pour son éviction du césar de la meilleure actrice au profit de la lumineuse Anaïs Demoustier, dont le talent est moins tapageur».

Quand est-ce que l'on va respecter la condition des victimes ? Jamais ? Quel est votre problème en fait ?

D'un autre côté, voir certains twittos souhaiter la mort des personnalités publiques ayant soutenu Polanski ou l'attribution de sa récompense m'a également scandalisée (notamment les blagues sur l'utilisation d'un Death Note avec le nom des célébrités).




Malgré tout ce bordel, je ne peux pas m'empêcher d'avoir une tendresse et une pensée émue pour toutes les femmes sensibles à ce scandale. Parce que ce week-end, j'ai senti cette sororité, cette indignation générale qui me laisse espérer qu'on ne se laissera plus faire. J'ai adoré les piques de Florence Foresti, la tribune de Virginie Despentes, la colère de toutes ces femmes qui ont pris la peine d'aller devant la Salle Pleyel pour manifester leur désaccord. J'ai vu des femmes oser prendre la parole pour la première fois sur ce qu'elles avaient vécu. J'ai moi-même pris conscience de l'importance de mener certaines actions.

Je n'ai jamais été pour la justice populaire. Celle qui accuse sans s'en tenir aux faits. Mon passé juridique m'en empêche. Mais nier ce genre de témoignages par peur du mensonge, c'est nier la parole des véritables victimes, bien trop nombreuses.

J'aimerais vivre dans un monde idéal où les choses seraient simples : pas de condamnation, pas boycott. Mais le monde n'est pas blanc ou noir : c'est une substance visqueuse toute grise qui rend difficile la possibilité de trancher.

Que l'on décide d'accorder ou non son pardon à un condamné ayant purgé sa peine, c'est l'affaire de chacun avec sa conscience et c'est un débat sur lequel il est vraiment difficile de se positionner. Je tiens plus que tout au principe de la présomption d'innocence parce que demain n'importe qui peut se retrouver accusé à tort des pires crimes. Mais vu le cas Polanski et son refus d'être jugé, difficile de fermer les yeux.

Pour aller plus loin :

La fille : Ma vie dans l'ombre de Roman Polanski de Samantha Geimer (2013)

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