Cette
image ne vous dit rien ? Vous n'avez pas l'impression de l'avoir
déjà vue mille fois sur Instagram ? Mais si vous savez, ce
design épuré, cette impression que tout est à sa place, bien
rangé... Vous voyez de quoi je veux parler ?
J'ai
mis du temps avant d'écrire ce sujet. Parce que je me suis dit que
je n'aurai jamais assez d'un article pour écrire là-dessus. Et
c'est probablement le cas : je pourrai continuer longtemps à
parler de ça, je ne ferai jamais assez de recherches, n'interrogerai
jamais assez de monde. Pourtant aujourd'hui je sens que c'est le bon
jour pour parler de ça et vous proposer d'y réfléchir ensemble.
Il
y a un peu plus d'un an maintenant, je lisais tranquillement le livre
Libérées de Titiou Lecoq quand j'ai été particulièrement
happée par l'un de ces chapitres. Ce livre, axé autour des tâches
ménagères imposées aux femmes établit le lien entre réseaux
sociaux et condition féminine. C'est ainsi qu'au chapitre III
intitulé « La vie rêvée des femmes », nous pouvons
lire ceci :
« Les
réseaux sociaux sont devenus le lieu de propagation d'une nouvelle
dictature domestique avec des normes extrêmement élevées et
uniquement à la charge des femmes, les hommes étant physiquement
absents de ces images » (p.123).
À
la lecture de ce chapitre, si j'étais tout à fait d'accord avec
l'autrice, j'ai eu comme l'impression que cette dictature dont elle
parlait était plutôt appliquée à une époque révolue
d'Instagram.
Lisez ce livre, il est très bien.
Comme
pour tout dans la vie, Instagram a fonctionné par tendances
(d'ailleurs qui oserait dire que ce n'est plus le cas en voyant tous
ces filtres aléatoires poper dans nos stories?). Et il fut un temps
où effectivement, la mode était aux feeds épurés, articulés
autour des couleurs grises et blanches. La décoration d'intérieur
scandinave avait le vent en poupe. Tous les intérieurs présentés
sur la plateforme étaient cocooning (ou hygge),
extrêmement rangés pour donner une impression de sérénité. Et je
pense que ce moule Instagram a poussé bien des femmes à faire bien
plus souvent le ménage à la maison.
Je
le confesse : je suis d'ailleurs moi-même tombée dans ces
travers. À ma sauce, certes, mais quand même. Mon compte personnel
était très réfléchi, toujours sur les mêmes tons, ce qui
impliquait également de vivre dans une espèce de monochrome sans
saveur. J'ai été vite ennuyée par cette façon de créer. Déjà
parce que je tenais à présenter mes photos de portrait, mais aussi
parce que la couleur a fini par me sauter à la figure sans crier
gare.
Avec
le recul, je m'en veux d'être tombée dans ce jeu pervers. Ok, je
m'amusais pas mal à créer avec des contraintes, mais je constatais
bien au fur et à mesure de ma production que je voulais de plus en
plus d'objets de qualité à mettre en avant, pour dépenser les sous
que je n'avais pas dans des objets onéreux au design épuré. Moi
aussi, rentrer dans le moule pour me prouver que tout n'était pas
mieux chez les autres, que moi aussi je pouvais avoir de jolies
choses chez moi. Oui, j'ai été cette personne et pourtant je ne
voulais pas l'être. Parce que tout ce que je voyais autour de moi
c'était ça, et que je croyais avoir trouvé ce que je voulais. Je
me trompais.
Mais
alors est-ce qu'Instagram a réellement fait reculer la condition
féminine ?
Si
l'on transpose la question des intérieurs à la question des corps,
on est en droit de s'interroger : que faisons-nous de toutes ces
fitgirls et autres influenceuses extrêmement fines qui
peuvent parfois faire culpabiliser leurs communautés à cause de
leur taille de guêpe ?
Loin
de moi l'idée de shamer qui que ce soit, tout le monde fait
bien ce qu'il veut du moment qu'il est bien dans son corps et qu'il
ne met pas en danger sa santé. Je dis simplement que la vague
healthy qui avait frappé Instagram à peu près au même
moment que la tendance cocooning avait mis à mal un certain
nombre d'estimes de soi. Au point que plusieurs de mes amies m'ont
rapporté avoir supprimé leur compte parce qu'elles en avaient marre
de culpabiliser en comparant leur vie à celle des autres (c'est une
donnée très scientifique, j'en ai conscience). Moi aussi, il m'est
déjà arrivé de me sentir mal ou d'avoir l'impression que ma vie
était moins bien à cause de ces comptes-là qui me culpabilisaient
sans le vouloir.
Moi mangeant mes pâtes au fromage en pyjama devant un feed insta rempli de légumes et de meufs en maillot de bain
On
aura beau dire, hein : c'est le jeu ma pauvre Lucette !
Instagram est comme tout réseau social une reproduction de ce que
nous connaissons déjà dans la société (même si les réseaux
sociaux ont leur évolution propre, il n'y a qu'à voir l'émergence
spécifique des métiers d'influenceur·euses, de community managers
et autres). À chaque fois que nous avons eu l'opportunité de faire
quelque chose de différent grâce à une plateforme laissant le
champ libre à notre imagination, nous avons répété les mêmes
schémas que dans la société physique. Qui plus est, Instagram
étant LE réseau social de l'image et uniquement dédié à ça, il
était presque inévitable que les travers de la communication
visuelle, de la publicité, de la mode et du marketing se
reproduisent en s'intensifiant. Seulement comme cette fois ce n'est
pas la seule et même voix des grandes industries qui donne le ton
mais plutôt celle de plein de personnalités éparpillées sur le
web, nous avons peut-être plus de mal à nous en détacher.
Pourtant
Instagram a notamment contribué à l'émergence du mouvement
bodypositive, qui permet de célébrer les corps dans leur
pluralité, de s'affranchir des diktats et d'encourager tout le monde
à s'aimer tel qu'il est. Et c'est une chance inouïe de pouvoir
faire grandir ces mouvements qui permettent de faire des réseaux
sociaux des endroits bien plus respirables.
C'est
bien pour cette raison qu'il faut encourager les initiatives
positives, celles qui montrent la vie telle qu'elle est, comme le
font très bien Louise Aubery a.k.a My Better Self et Douze Février
avec le hashtag #OnVeutDuVrai ou encore Coline qui explique son lâcher prise dans sa dernière vidéo.
Je vous en parlais dans un précédent article, il me paraît
indispensable aujourd'hui d'inverser la vapeur.
Sans même être utopiste, je pense sincèrement au fond de moi que
nous avons les moyens de faire des réseaux sociaux quelque chose de
majoritairement positif, même si ce sont des outils résultants de
notre fonctionnement capitaliste et que sans renversement de ce
système nous n'arriverons à rien.
Mais c'est pas le sujet.
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